La diaspora turkmène sous pression : comment la pandémie et les catastrophes naturelles ont déclenché une nouvelle vague d’activisme civique — et pourquoi même à l’étranger les militants restent sans protection

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La pandémie de COVID-19 et la catastrophe naturelle majeure de 2020 ont marqué un tournant pour la société turkmène. Ces événements ont poussé, pour la première fois, des dizaines de milliers de citoyens à s’unir autour d’exigences communes — transparence, responsabilité de l’État et protection des droits des victimes. Cependant, cette nouvelle société civile ne se forme pas à l’intérieur du pays, mais à l’étranger, où les Turkmènes peuvent parler ouvertement et documenter les violations. Même à l’extérieur, les militants sont confrontés à la menace de déportation et de persécution, tandis que la Turquie et la Russie, étroitement liées à Achgabat, continuent de remettre des opposants aux services de sécurité turkmènes.

La protestation de Washington et l’affaire Merdan Mouhammedov
À la fin juillet, un groupe d’activistes turkmènes s’est rassemblé devant l’ambassade de Turquie à Washington pour protester contre la déportation d’opposants. Le déclencheur fut l’arrestation de Merdan Mouhammedov, membre de 32 ans du mouvement HSM-Turkmenistan, convoqué par la police turque sous prétexte de régler un problème domestique, puis transféré dans un centre de déportation et expulsé vers le Turkménistan.
Dans son pays, il risque des accusations d’espionnage, d’extrémisme et de menace à la sécurité nationale. Selon les défenseurs des droits humains, il a été soumis à des interrogatoires montrant des signes évidents de coups.
Les militants soulignent que Mouhammedov enquêtait sur la corruption, critiquait le régime et documentait les violences dans les prisons turkmènes. Les accusations portées contre lui par le Turkménistan relèvent d’un schéma politique typique et peuvent entraîner jusqu’à 25 ans d’emprisonnement.

Le système autoritaire et son influence sur la diaspora
Le Turkménistan reste l’un des États les plus fermés et répressifs d’Eurasie. Le pouvoir est concentré entre les mains de la famille Berdymoukhamedov depuis plus de 17 ans, et toute activité civique indépendante est perçue comme une menace. Dans ce contexte, la diaspora turkmène subit une pression particulière : de nombreux militants à l’étranger se retrouvent persécutés via des mécanismes de coopération internationale.
Selon les membres du mouvement, les services de sécurité turkmènes exploitent activement leurs liens avec la Turquie et la Russie pour obtenir la remise des opposants. Le prétexte officiel est la violation des règles migratoires, mais l’objectif réel est la répression politique.

La naissance d’une nouvelle vague d’opposition turkmène
La montée du mécontentement a commencé en 2020, lorsqu’un ouragan dévastateur a frappé Türkmenabat. Des sources indépendantes ont signalé des victimes, mais les autorités ont préféré étouffer la tragédie et n’ont pas apporté d’aide aux sinistrés. Parallèlement, la pandémie de COVID-19 a entraîné une fermeture stricte des frontières, empêchant de nombreux migrants de retourner auprès de leurs familles.
L’absence de réaction officielle face à la catastrophe a été un élément déclencheur. Les Turkmènes ont commencé à publier des vidéos critiquant le gouvernement — d’abord en cachant leur visage, puis de plus en plus ouvertement. Les protestations se sont rapidement répandues sur les réseaux sociaux, malgré leur blocage dans le pays.
Même à l’intérieur du Turkménistan, des manifestations spontanées ont éclaté : à Türkmenabat, plus d’un millier d’habitants ont organisé un sit-in. Les autorités ont répondu par des arrestations, des poursuites judiciaires et des répressions pour la publication d’images des destructions.

Turquie : arrestations, raids et déportations
Depuis 2020, les autorités turques ont renforcé le contrôle sur les migrants turkmènes, dont beaucoup vivaient dans le pays avec des documents expirés — souvent pour des raisons indépendantes de leur volonté (les consulats turkmènes renouvellent rarement les passeports des opposants).
Selon des militants, en 2022, les défenseurs des droits humains ont obtenu une liste de 25 Turkmènes menacés d’extradition. Depuis, au moins sept ont été expulsés vers le Turkménistan, parmi eux :
Merdan Mouhammedov — persécuté pour critique politique
Farhad Meïmankouliïev — condamné à une longue peine à son retour
Djoumasapar Dadebaïev — emprisonné en Ouzbékistan après déportation
Imanov, Klytchov et Baïmouradov — expulsés comme « migrants illégaux »
Les militants ont également signalé des attaques contre des opposants en Turquie et des fuites de données personnelles depuis les services migratoires vers les autorités turques et turkmènes.

Russie : disparitions et renvois forcés
La Russie participe aussi à la remise de militants turkmènes. Les cas les plus connus incluent :
Azat Isakov — disparu en 2021 après une visite de la police ; les autorités russes ont affirmé qu’il avait « pris l’avion volontairement » vers le Turkménistan, malgré l’absence de passeport valide
Malikberdy Allamyradov — étudiant arrêté en décembre 2023 après une manifestation solitaire ; selon l’opposition, il a été secrètement transféré et condamné au Turkménistan
Les relations stratégiques étroites entre Moscou et Achgabat créent des risques considérables pour les militants cherchant l’asile.

Torture et « disparitions forcées »
Le Turkménistan applique systématiquement les méthodes les plus dures pour réprimer la dissidence. Les organisations de défense des droits humains documentent depuis des décennies :
• de longues peines sur la base d’accusations fabriquées
• tortures et mauvais traitements en prison
• « isolement total » des prisonniers politiques — une pratique connue sous le nom de disparition forcée
Selon la campagne « Montrez-les vivants ! », au cours des 20 dernières années, 162 détenus ont été soumis à cet isolement, au moins 29 sont morts et le sort de nombreux autres reste inconnu.

Choix personnel des militants : fuite ou risque de déportation
L’opposant Nourmouhammet Annaïev a quitté la Turquie après une série de perquisitions, d’agressions et de menaces, et tente aujourd’hui d’obtenir l’asile en Europe. Son histoire est représentative de nombreux militants turkmènes contraints de chercher la sécurité en dehors des pays coopérant avec Achgabat.

Conclusion de l’Observatoire ARGA
L’expérience de la diaspora turkmène révèle un problème majeur : même après avoir quitté le pays, les militants restent vulnérables en raison de la pression transfrontalière exercée par les régimes autoritaires et de la volonté de certains États de satisfaire les demandes des services de sécurité turkmènes.
La nouvelle vague de mobilisation civique, née d’une catastrophe naturelle et de la pandémie, montre le besoin croissant des Turkmènes en transparence, en responsabilité et en protection des droits humains. Cependant, sans attention internationale et sans mécanismes garantissant la sécurité des dissidents, ces voix demeurent en danger.

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